09 février 2014

Anne Franck au pays du manga, Collectif


Depuis sa première publication en 1952, « le journal d'Anne Frank » est le plus lu et le plus étudié des livres étrangers au Japon. Toutes générations confondues, tout le monde connaît la petite fille d'Amsterdam et son destin tragique. Un best-seller, également disponible en manga, mais dans lequel Anne Frank est simplement perçue comme l'héroïne d'un roman à succès à la conclusion cruelle et émouvante. Au pays du soleil levant, peu nombreux sont ceux qui connaissent la Shoah. Une histoire bien trop lointaine pour les Japonais, malgré leur alliance avec le Troisième Reich. Ils ne semblent pourtant pas non plus bien connaître leur propre histoire : « La guerre, c'est horrible. Et nous en avons été les plus grandes victimes lorsque les Américains ont largué leurs bombes atomiques sur nous. », dit Makoto Otsuka, le directeur du mémorial à Anne Frank et à la Shoah, situé non loin d'Hiroshima et unique en Asie. Et c'est l'idée vague qui fait à peu près consensus au Japon.Racontant à la première personne le voyage de ses auteurs, cette BD documentaire interactive explore les représentations du passé dans la société japonaise d’aujourd’hui. Le Japon a adopté Anne Frank, figure universelle, pour en faire un manga — une forme spécifiquement japonaise mais que le monde entier s'est désormais appropriée. Pied-de-nez, mais aussi véritable tentative de jeter un pont entre deux cultures, les auteurs racontent leur parcours d'Occidentaux au Japon en « web-manga », mêlant dessins, photographies, sons et vidéos, pour dissiper le brouillard du relativisme culturel qui nimbe généralement l'Asie lorsqu’elle est observée depuis l'Occident.
J'ai aimé !

C'est l'expérience d'une BD documentaire interactive que nous offre ici Alain Lewkowicz (réalisateur), Vincent Bourgeau (dessinateur) et Marc Sainsauve (chef opérateur / photographe). Intrigués et choqués par le paradoxe Anne Frank au japon, ils décident de s'y rendre pour comprendre pourquoi la petit fille ne revêt qu'une image de fiction au pays du soleil levant. Aidé d'Herminien Ogawa (fixeur / traducteur), Alain Lewkowicz a bien l'intention de poser les questions qui fâchent : pourquoi les japonais, si familiers d'Anne Frank, n'ont-ils jamais entendu parler de l'Holocauste ? Quels regard portent les japonais sur leurs exactions durant la seconde guerre mondiale ? Comment se fait-il que cette période soit passée sous silence à l'école, et que les japonais connaissent si mal leur propre histoire ? D'abord en format numérique, librement consultable ici, Anne Frank au pays du manga a fait l'objet d'une édition papier chez Les Arènes.

Pugnace, Alain Lewkowicz. Un peu trop à mon goût d'ailleurs ! Si la démarche qu'il entreprend est louable, le "pont" qu'il prétend jeter entre les cultures se transforme un peu trop souvent en insistantes accusations. D'abord enchantée par la forme dont je vous reparlerai ensuite, j'ai eu de plus en plus de mal au fur et à mesure de ma lecture à comprendre le comportement systématiquement agressif du réalisateur qui m'a semblé finalement assez peu ouvert d'esprit. L'approche m'a parue condescendante et intolérante, même si le révisionnisme et le négationnisme japonais sont très difficiles à entendre de notre point de vue d'occidentaux, pour qui la seconde guerre mondiale doit être la période historique la plus étudiée à l'école. Je n'ai pas retrouvé l'objectivité que j'avais louée dans Le photographe de Lefèvre et Guibert, qui soulignait à mon avis de façon beaucoup plus subtile les différences de culture. Bien entendu, la démarche n'est ici pas la même, et je reconnais à Alain Lewkowicz un cran et une rigueur qui semblent de mise lorsque l'on essaie d'entrer dans des sujets délicats avec les japonais ; mais je me suis rapidement lassée des petites phrases acerbes qui ponctuent le récit.

Mais parlons plutôt de la forme ! Véritable objet multimédia, Anne Frank au pays du manga se présente sous la forme d'une bande dessinée composée de 4 chapitres, enrichie de multiples extraits sonores, vidéos et photographiques, toujours pertinents. Chaque "planche" est accompagné d'un fond sonore (bruit de ville, messages diffusés dans le train, etc.) très appréciable pour s'imprégner de l'ambiance, mais qui peut cependant être parfois un peu perturbant (vous aimez lire en silence ? Passez votre chemin !). La transition entre les différents tableaux sonores est en revanche parfaite, même lorsque le chargement de la page est un peu long. Globalement, l'expérience est extrêmement immersive et très prenante.

Du point de vue de la technique donc, rien à redire : Anne Frank au pays du manga est une expérience interactive particulièrement riche et réussie, qui m'a entièrement convaincue. La lecture est bien entendu plus longue que pour une bande dessinée traditionnelle (comptez une bonne demi-heure par chapitre si vous écoutez/visualisez soigneusement tous les extraits) mais le résultat est là : en multipliant les différents médias, les auteurs parviennent à décupler l'impact de leur reportage, et à donner au lecteur un aperçu de la complexité de la question traitée. Espérons que l'initiative fasse des émules !

Anne Franck au pays du manga, Collectif
En ligne
Disponible en format papier :
Éditeur : Les Arènes
Paru en 2013
95 pages
19.90 €
ISBN  978-2-35204-282-2
D'autres K.Bdiens : Badelel - Lunch

3 mot(s) doux:

  1. L'idée de départ ne m'aurait pourtant pas plu.

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  2. Coucou, je profite de mon passage pour t'informer que mon blog (histoires-de-livres) a déménagé. Tu peux d'ores et déjà me retrouver sur " http://envies-de-livres.blogspot.fr " Tous mes anciens articles y ont été rapatriés. Tu peux t'inscrire à la newsletter pour ne rien manquer. Bonne visite. Laeti

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